Les femmes hypersexuelles
Sujet qui reste tabou dans notre société, la sexualité des personnes âgées a pourtant été
mise à l’honneur lors du colloque annuel du groupe Serience, chaîne d’établissements pour seniors, le 17 juin 2004 à Paris. Intitulé « le couple âgé : ‘vieillissement et sexualité’ », cette
journée de réflexion s’est voulue un pas en avant dans la compréhension d’une réalité souvent inavouée.
Longtemps inabordée, la sexualité des personnes âgées mérite pourtant qu’on s’y intéresse.
Parmi les fondateurs de la sexologie, à la fois psychiatre et psychanalyste, le Professeur Georges Abraham de l’Université de Genève, a rappelé l’ambivalence de la société par rapport à la
personne âgée. Source de fierté, la longévité est aussi source de préoccupation.
Selon lui, la sexualité se caractérise par quatre piliers. Elle définit l’identité d’un individu, trouve sa place entre les notions de reproduction et de plaisir, permet de comprendre les
relations hommes/femmes et donne son sens à l’érotisme. « Chez le sujet âgé, la sexualité n’est plus d’ordre fonctionnelle, elle est méta-fonctionnelle, c’est-à-dire libérée de la fonction »,
insiste le Professeur.
Alors que le jeune est otage de l’avenir qui le tracasse et l’empêche de vivre au jour le jour, la personne âgée a intégré la mort dans son quotidien. Le corps n’est plus pour elle source de
contraintes. En devenant ‘propriétaire’ de son corps, la personne âgée est libérée des rythmes physiologiques. Elle doit cependant réapprendre à l’apprivoiser. En s’intéressant à des parties de
son corps auxquelles elle n’avait pas jugé bon de s’attarder quand elle était jeune, elle laisse place à ses inquiétudes, ce qui est souvent traduit, de manière incorrecte, par de
l’hypocondrie.
Physiologiquement, la personne âgée, à fortiori si elle est en bonne santé, n’a pas d’excuse pour dire « je ne peux pas fonctionner ». La sexualité ne doit pas pour autant devenir une obligation.
Citant Freud, le professeur souligne que « la libido du vieillard est très liée à la libido vitale ». Elle peut prendre divers aspects. La sexualité n’est donc plus une priorité. Elle devient
sujette à sélection entre divers objets de satisfaction.
A l’inverse, une libido trop exacerbée et axée sur l’acte sexuel doit souvent être interprétée comme un signe d’angoisse. La sexualité devient une échappatoire. L’idée de la performance sexuelle
un moyen de se rassurer.
Une chose est sûre, l’imaginaire joue chez la personne âgée un rôle primordial. Le simple fait de se tenir la main par exemple peut être vécu comme une résurrection du corps sur l’affectivité. A
ce titre, la mémoire corporelle permet aux couples âgés de vivre une union harmonieuse. Parfois refoulés, les souvenirs corporels peuvent dans certains cas, être reconvertis en sensations. Tout
comme les rêves. Cette ‘boîte à images’ dans laquelle sont canalisées toutes les sensations fortes éprouvées pendant le sommeil, peuvent donner à la personne âgée le sentiment d’exister. De plus,
raconter ses rêves présente un intérêt relationnel chez la personne âgée, une manière de communiquer avec autrui. « Quand on rêve, on est toujours jeune », rappelle M. Abraham. Que dire de plus
?
« La longévité est une force », clame haut et fort le professeur. Et le Docteur Sylvain Mimoun de renchérir « l’amour donne des ailes, à n’importe quel âge. Le pire, c’est d’imaginer que c’est
fini. »
Selon le gynécologue et andrologue de l’Hôpital Cochin, les personnes âgées ne sont pas intéressées par la performance. Ce qu’elles recherchent, c’est la continuité. La sexualité dans le couple
agit comme un ciment. Et le fait qu’elle revêt des aspects différents au fil du temps n’est pas un problème en soi.
Le Docteur insiste avec force sur la nécessité d’un accompagnement des personnes, seule possibilité d’éviter l’incompréhension réciproque au sein du couple. La femme, à n’importe quelle âge mais
d’une façon plus perceptible lorsqu’elle vieillit, est préoccupée par le désir de l’autre. L’homme est, quant à lui, essentiellement préoccupé par son propre fonctionnement.
Les changements physiologiques normaux peuvent être à l’origine de grandes détresses chez les personnes qui n’y sont pas préparées. Souvent mal averties, les couples s’enferment en effet dans un
silence qui creuse encore plus la rupture. Il leur faut prendre conscience qu’aucun traitement hormonal, aucun remède miracle ne peut leur permettre de régler cette question qui est avant tout
d’ordre psychique.
Le vrai problème n’est pas la modification de la libido mais bien l’arrêt de la sexualité, répète M. Mimoun. Et l’âge n’intervient pas dans la fonction sexuelle.
Toutes ces constatations lèvent le voile sur un sujet trop peu développé dans notre société et en souligne la complexité. La personne âgée, qu’elle vive en couple ou seule, se retrouve confrontée
à de profonds changements d’ordre physique, physiologique et psychologique qu’il lui est difficile de comprendre et donc de maîtriser.
Le Docteur Marie Chevret, psychiatre et sexologue, note d’ailleurs que ces modifications sont d’autant plus délicates, qu’à la différence de la génération des baby-boomers, qui a eu la
possibilité de parler plus librement de sexualité, les personnes très âgées -et les jeunes- sont ignorants en la matière.
Toute la difficulté revient à expliquer les choses sans les brusquer ni les censurer. Laisser à la personne âgée le loisir de redécouvrir son corps et sa libido. Lui laisser aussi le droit absolu
de recréer une vie de couple si elle le désire. Elément créateur par excellence, la libido est un élément vital. Elle doit donc pouvoir s’exprimer librement.
A en croire ce proverbe africain cité par le Professeur Abraham, « si tu ne sais pas où tu vas, tourne-toi en arrière pour savoir au moins d’où tu viens ». Voilà qui résume bien la sexualité de
la personne âgée. L’angoisse de la mort peut être contrée par la transformation des souvenirs en réalités sensorielles.